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Le Cygne Manchot
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13 juillet 2006

Chapitre VI

Une partie de Ping-Pong

3 septembre – soir

Ping-Pong, la reine du vilebrequin taiwanais, avait été repérée dans un sordide bouge de Bangkok par Monsieur Claude en personne venu pour voyage… d’agrément. Toujours à la recherche de nouveaux talents, il se devait, bon commercial qu’il était, de toujours fournir les meilleures des prestations à ses clients. Et cette fille avait un sacré talent. Et un énorme savoir en matière d’ingestion de balles de ping-pong. A peu près 9/10ème de la population de Seattle n’avait pas connaissance de ce genre de luxure. Et 100% de cette masse ignorante serait horrifiée si elle voyait ce spectacle, certains pourraient même aller jusqu’à forcer les portes de leur paroisses pour prier avec ferveur contre la créature du diable japonaise (laissez tombez, ils en sont encore à Pearl Harbor…). Aucun n’aurait l’ombre d’un fantasme. Mais lui si. Et les gens plus pervers également. Et puis il avait une affection particulière pour sa petite Ping-Pong. Dans

la Venise

du 16ème siècle, on parlait de courtisanes. Dans une monarchie, on les nommait favorites. Et bien Ping-Pong, de son vrai nom Wang-Tan était sa courtisane favorite. Surtout quand elle lui massait les pieds avec cette huile qu’elle avait ramenée avec elle.

Au septième ciel, les yeux mi-clos et le corps relaxé, il savourait ses sensations quand Véronica surgit de nulle part pour se mettre à hurler comme une hystérique.

     - Qu’est-ce que tu as fait ? Ca ne te suffisait pas de m’étouffer, il a fallu que tu étouffes un pauvre clochard ? Tu es fou, Claude, il faut te faire soigner, tu es un malade !!!

Monsieur Claude ouvrit les yeux à regret et la regarda d’un air absent. Il était coutumier de ce genre de crise de sa petite sœur. Elle lui reprochait souvent tous les maux du monde, elle était trop fragile. Voila pourquoi il la protégeait autant, surtout d’elle-même.

     - Je n’ai rien fait.

     - Ah oui ? et ce… torchon qu’on a retrouvé sur lui, tu vas me dire que c’est un magasine mode et travaux ? Travaux avec un fouet clouté, ça oui !!! Comme si tu étais étranger au fait qu’il ait TON magazine en sa possession !!!

     - Je n’ai rien fait.

     - Arrête, tu vas me rendre folle. Tu me surveilles constamment, tu surveilles ceux qui me regardent, personne n’a le droit de s’approcher de moi avant de passer tes tests. Le seul qui ait réussi cet exploit, c’est parce que tu le crois homosexuel !

Monsieur Claude repoussa brutalement Ping-Pong qui n’avait pas cessé de lui prodiguer ses bienfaits. Il n’était plus d’humeur. Il redressa son ossature de bœuf et déplia son mètre quatre-vingt pour dominer sa sœur cadette de plus d’une tête. Il fit un léger mouvement de bras et la gifle claqua dans un bruit sec. Il était lourd, mais il frappait vite. Si vite que Véronica n’avait pas eu le temps d’esquiver. Avec le choc, sa tête fut emportée vers l’arrière, et un filet de sang coula de sa bouche. Les yeux écarquillés, elle fixa son frère et commença à pleurer.

Aussi rapidement qu’il lui avait assené un bon coup de battoir, il la prit dans ses bras et la serra à l’étouffer.

La bouche dans ses cheveux qui sentaient si bon, il prit sa voix la plus enjôleuse.

     - Tu ne devrais pas te mêler des affaires des grandes personnes. Ce n’est pas un monde pour toi. Tu vois bien qu’il faut que je te protège… Et si je te moleste un peu, c’est pour ton bien. Tu le sais, ma chérie.

Véronica laissa aller son corps contre celui si fort de son frère et se mit à sangloter doucement. Elle était vaincue.

     - Oui, je sais. Je sais, mais…

Claude lui posa un doigt sur les lèvres.

     - Il n’y a pas de mais. Fais ce que tu sais faire, chanter, et être belle pour moi. Le reste n’a pas d’importance, d’accord ?

Soupir.

     - D’accord.

Le grand frère sourit largement à sa petite sœur.

     - Voilà qui est mieux.

     - Qu’est-ce qui est mieux ? De recommencer à frapper ta sœur ?

Claude et Véronica se retournèrent en direction de la voix rauque et basse.

Dans l’embrasure de la porte se tenait leur mère, les bras croisés, passablement furieuse.

     - Claude, fous la paix à ta sœur, elle est grande, elle fait ce qu’elle veut. Et toi, ma fille, prend le raccourci, l’inspecteur Goldwin veut te voir. Je lui ai déjà servi quelques verres, mais il s’accroche l’animal. Offre lui en quelques autres, soit évasive au possible et assure ton tour de chant, y’a du monde ce soir.

Véronica baissa les yeux.

     - Oui maman.

     - Oui maman…, singea ironiquement Régina Castel. Et Maman te dit d’essuyer ta bouche, tu saignes. Et pique un glaçon dans le verre de ce pitbull pour t’apaiser. Tu lui diras que t’es pris l’étui de la basse de William dans le visage par mégarde. Et essaie d’être convaincante, pour l’amour de Dieu.

     - Oui maman.

Et Véronica s’esquiva aussi vite que possible par une porte dérobée, la main pressée sur sa bouche, sans un regard pour son frère.

Frère qui fut projeté la seconde d’après contre le mur. Ses cent kilos de barbaque ne lui furent d’aucune utilité contre la fureur de sa mère.

     - Ce n’est pas parce que tu fais dix kilos de plus que moi que tu peux te laisser à penser que tu as tous les droits. Tu possèdes ce bordel, mais pas mon bar, encore moins ta sœur. Si tu la bouffes comme ça, elle n’arrivera jamais à s’en sortir alors je te conseille, cher fils, de te tenir à carreau pendant quelques temps. On a les flics aux fesses, je te signale, et j’ai d’autres ambitions que de créer un parfum qui s’appelle « Cul au barbecue ». Alors arrange ton persil jaune, pince toi les joues et vient faire un petit tour de l’autre côté.

Monsieur Claude obtempéra sans rechigner. On écoute toujours sa maman. Quand bien même il continuerait à agir comme il l’avait décidé, et donc à protéger sa sœur comme il le devait,  il ne valait mieux pas contrarier sa génitrice. Sa constitution, il la lui devait. Et il lui reconnaissait aussi un sacré coup de poing pour en avoir tâté plus jeune.

Il jeta un coup d’œil à son bouquet. Un peu de traviole. Le persil jaune tirait un peu la tronche, mais il s’harmonisait avec le jaune poussin de sa cravate. C’était sa marque à lui et personne n’osait s’en moquer.

Il tira sa veste par le bas d’un coup sec, brossa ses épaules et rajusta son nœud. Voilà.

Il partit de l’autre côté pour surveiller sa sœur et cet inspecteur trop tendu qui aurait bien besoin des services de Ping-Pong.

Véronica Castel était belle de loin et pas trop mal de près. Elle était plus âgée que ce qu’il s’était imaginé, 25-26 ans, mais elle restait une très jolie fille. Ses yeux d’un bleu intense et sa peau claire lui donnaient cet air de fragilité qu’aimait les hommes, qui inspirait ce désir de protéger. Une jolie poupée, Véronica Castel, avec des beaux cheveux noirs à coiffer et des mains à agiter. C’était l’image qu’elle donnait au monde entier, sa famille y compris.

Mais ses yeux morts ne l’étaient pas. Elle savait bien jouer la comédie, la coquine, mais certaines fois elle se trahissait. Avant que Regina Castel, la veille, l’interrompe, il avait cru voir un éclair de colère. Dirigée contre qui, il ne le savait pas. Mais c’était bien de la colère. Tout comme il y a quelques secondes à peine avant que ses yeux reprennent leur mélancolique construction d’airain.

     - Vous voulez peut-être que l’on parle loin des oreilles indiscrètes ?

Véronica lui lança un regard aigu.

     - A qui faites vous allusion ?

     - Allons, Miss Castel, je ne suis pas dupe de votre si charmante fragilité éthérée. Même si je vous accorde une grande sensibilité, je mets aussi à votre crédit d’excellentes dispositions de comédienne.

La chanteuse recula d’un pas, étonnée. Elle sentit le regard de l’inspecteur sur sa bouche enflée.

     - Je suis sensée vous bourrer la gueule pour que vous compreniez tout de travers. Vous sourire et vous attendrir. Mais apparemment, vous n’êtes pas le genre à avoir la fibre sensible. Allons à une table près de l’orchestre, on sera moins susceptible de nous entendre.

Effectivement, Véronica Castel était beaucoup moins bête qu’une chanteuse blonde. Il la suivit, son… euh… quatrième verre à la main et lui tira sa chaise en bon gentleman.

     - Claude rode dans les parages, aussi serai-je brève. Les détails seront pour plus tard.

     - Je ne vais pas faire le difficile.

     - Je m’en serais doutée.

Véronica Castel avec un charmant sourire, blanc, doux et incurvé dans une petite moue enfantine.

     - Posez-moi vos questions.

Goldwin souleva le cuir de son carnet pour relire rapidement ses notes.

     - Bon… que faisiez vous la nuit du 1er au 2 septembre dernier entre 22heures et 1 heure du matin ?

     - Je commence mon tour de chant à 23 heures. Il dure entre 45 minutes et une heure. Avant mon entrée en scène, je dois me maquiller, souvent estomper certaines marques et chauffer ma voix, ce qui me prend bien une heure. Après le spectacle, je suis obligée de tendre ma main à ces messieurs prodigues en compliments et en mains baladeuses. Heureusement que je porte des gants.

Goldwin émit un petit rire.

     - Vous avez parlé de marques ?

Véronica toucha sa bouche.

     - Aujourd’hui, ce n’était qu’un coup sur la colère. Certaines fois de sont des gifles, ou des traces de doigts. Ca ne va pas plus loin. Mon frère est impulsif et assez colérique. Et surtout il est persuadé que je suis une jeune fille fragile et sans défense. Même s’il ne maîtrise pas tout le temps sa force, c’est un bon frère. Il veut que je m’en sorte, que je quitte cette vie. Ma mère se mêle rarement de nos différends. Elle estime que je suis assez grande pour faire ce que je veux.

     - Vous a-t-il frappé cette nuit là ?

     - Moi non mais quelques uns, si.

     - Que voulez-vous dire ?

     - Il y a eu une grande et magnifique baston au beau milieu de l’élégant bar de ma mère. Bien évidemment, le fauteur de troubles est mon frère. Il tentait d’allonger son bras en direction d’un type quand je suis arrivée. Un homme noir essayait tant bien que mal de le maîtriser, mais ce fut en vain, il était déchaîné.

     - Un homme noir ?

     - Oui. Grand, maigre, pas bien habillé, sûrement un sans domicile. Il voulait un verre, il avait de l’argent d’après ce que m’a dit une des serveuses, mais personne n’en voulait. Et au moment où il se faisait jeter à la porte par mon frère, quelqu’un d’autre est arrivé pour attirer des foudres d’un autre genre.

     - Qui ça ?

     - Orace Carter-Big Bud.

Tiens tiens… Goldwin griffonna quelques mots sur son carnet. Véronica regardait autour d’elle, essayant de rassembler ses pensées pour aller au plus vite.

     - Et que faisait Mr… (Goldwin regarda son carnet) Carter-Big Bud au Cygne Manchot ? C’est un habitué ?

     - Orace ? Non, je ne crois pas. Il ne croit pas à la magie, il ne boit pas et il n’aime pas ma voix. Alors je ne vois pas beaucoup de raisons qui le pousseraient à venir, sauf pour le reste de ma personne.

     - Vous êtes donc comment le formulerai-je… intime avec Mr Carter-Big Bud ?

     - Je suis sa fiancée depuis hier soir, ce qui explique la fureur de mon frère. Il n’aime pas les hommes qui gravitent autour de moi, sauf Matt qu’il tolère, alors un apothicaire qui fricote avec des gens pas clairs, c’est hors de question…

     - Matt ?

     - Le pianiste. Il m’accompagne souvent. Il a fait la guerre de Corée, alors, des fois, il se retire en lui-même. C’est pour ça qu’il est très bon au piano. Lui aussi s’est battu. Il a tenté de maîtriser l’homme noir qui essayait de casser une bouteille sur le crâne de mon frère.

Goldwin se renfonça dans sa chaise, définitivement inspiré par cette enquête.

     - Et Sa Seigneurerie dans tout ça ?

     - Sa Seign… oh inspecteur, ce n’est pas très gentil.

     - Vous n’avez pas l’air de vous offusquez.

     - Je vous fais grâce de ma colère aujourd’hui. Ma mère est venue s’interposer, comme vous vous en doutez. Elle a administré quelques raclées, mais elle ne pouvait pas non plus cogner comme une brutasse devant ses clients. Elle a tiré mon frère par les oreilles, fait virer l’homme noir et expédié Orace au diable pour ce soir sans savoir le pourquoi de la querelle. Et Matt est allé se rasseoir au piano pour faire diversion. Claude est là. Prenez un air blasé, vous avez l’air d’un chat qui boit du petit lait. Ca vous fait une drôle de tête, par ailleurs…

Goldwin repéra Monsieur Claude qui effectivement de dirigeait vers eux et repris son masque de circonstance. Véronica se leva et pris congé à voix basse pour regagner sa loge. Elle évita de rencontrer son frère et disparut de la salle principale.

Goldwin se mit à trouver passionnant le fond de son verre. La moitié de son champ de vision était obturé par un costume K’Maro qu’il n’aimerait pas avoir à se payer et à une tâche jaune poussin. La cravate du jour… Il avait du goût, le proxénète…

     - Vous avez tout ce que vous cherchez ?

     - Vous savez bien que non et vous venez vous en assurez. Mais n’ayez crainte, je suis assez tenace.

     - Personne n’en doute, mon pote. Mais pour l’heure, on a fini de te faire crédit pour ce soir. Alors soit tu allonges, soit tu repars.

Goldwin le regarda droit dans les yeux. Monsieur Claude s’étonnait toujours de l’opacité de ce regard. Il avait des accointances dans la police du quartier. Il connaissait la réputation et les rumeurs qui courraient sur cet inspecteur. Beaucoup ne l’aimaient pas. Il comprenait maintenant pourquoi. Personne n’aime avoir à faire à des gens qui ne révèlent rien et semblent de rien cacher. Comme une coquille vide. Ca rendait le personnage complexe et intéressant mais sympathique, ça restait à voir.

     - J’ai un mandat, Monsieur Claude. Mais je vous épargne la peine de me prendre mon pauvre salaire de flic, je garde une partie de mon mandat pour les prochaines fois. Comme demain, par exemple…

Sur ces paroles acides, Goldwin se leva, remis son chapeau et salua son interlocuteur. Quand il sortit, il entendit la voix grave d’Aphrodisia qui s’élevait. Son frère était sûrement resté à proximité.

Dans les ruelles obscures, sans crainte particulière, Goldwin se souriait à lui-même.

Orace Carter-Big Bud était le fiancé haï de Monsieur Claude qui avait tenté de l’emplâtrer dans le mur du fond. L’homme noir, bien que sur le point d’être jeté comme un malpropre avait un certain sens de la justice – ou alors il n’était pas encore plein comme une outre – et il avait tenté d’empêcher la lutte. Monsieur Claude ne sachant comment se défaire de deux hommes lui causant sur le coup une égale colère essaya de les cogner l’un contre l’autre. Mais le pianiste, accessoirement ancien GI réussit à les séparer. C’est à ce moment là que Régine Castel vint tout remettre en ordre, ce qui n’avait pourtant pas empêché Véronica, venue au secours de son fiancé tout frais se prendre un coup par le noir qui gesticulait un peu trop dans la poigne du pianiste.

Voila comment le noir s’était retrouvé catapulté hors du bar. Et expliquait qui aurait pu le tuer. Ouais, là c’était fendard.

Arrivé chez lui, l’inspecteur réjouit balança son pardessus et son chapeau, ébouriffa ses cheveux noirs et blancs et s’appliqua à rouler une Sherman. Il avait besoin de réfléchir. Et bien.

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