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Le Cygne Manchot
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Le Cygne Manchot
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13 juillet 2006

Chapitre VII

Big Bud is good !

4 septembre – matin

Orace Carter-Bud regardait la nappe verte qui ornait sa table avec dégoût. Des serviettes roses rajoutaient une dimension affligeante à ce spectacle. Beurk. Il détestait les diners dans ce genre, mais il y avait pire. Par la fenêtre, il avait tout le loisir de contempler un magnifique M jaune. Le premier Mc Donald de Seattle. Une mal bouffe en passe de devenir le repas préféré des américains…

Et ces putains de caisses rutilantes, toutes parfaitement alignées. Papa ne voulait pas de rayure sur sa fierté… Des quatre places. Grosses, moches exceptions faites des muscles cars, trop rares à son goût. Tiens, il devrait aller faire un tour dans Union Street ce soir…

     - Tu manges pas ?

     - Je t’attendais.

Goldwin se glissa sur la banquette en skaï en s’asseyant royalement sur son manteau.

     - T’as raison. Tu fais presque respectable avec ton imper.

Le flic sourit et ouvrit les pans de son manteau, révélant une énième combinaison de vêtements non assortis.

     - Range tout ça. Ca offense mon sens de l’esthétisme.

     - Je suis bien comme ça.

     - C’est toi qui les portes. Bon, c’est quoi ce rencard ? T’es à cours ?

     - Non, c’est professionnel.

OCB parut étonné.

     - Je ne suis pas une balance.

     - Je sais. Mais tu étais au Cygne Manchot avant-hier.

     - Ah.

     - Ouais, « ah ». Tu comptais me dire un jour que tu allais te ranger ?

     - Ben oui, mais là tout de suite, non.

     - Et tu attendais quoi ? Le repas annuel familial dans le Wisconsin ?

     - C’était une option. Tu connais papa et maman, il n’apprécieraient pas que je me marie avec une chanteuse de bar. On attendait qu’elle parte de ce cloaque.

     - Et finalement tu t’es rendu compte que le gentil frère ne bénissait pas votre union à la faveur d’une mandale ?

     - Par exemple. Ecoute, j’aime Véra. Vraiment. Je déteste la savoir là-bas, paluchée par des libidineux aux doigts baladeurs. Tant qu’elle le supporte, on attend.

     - Je vais pleurer. Pas aussi perchée que ça, la demoiselle.

     - Pas perchée du tout, elle est clean. Si je te dis qu’elle ambitionne de devenir une petite bourgeoise, tu me crois ?

     - Sans mal. Comment tu l’as rencontrée ?

     - Elle était venue dans mon magasin pour chercher une crème réparatrice. C’est Ping-Pong qui lui a conseillé l’adresse.

     - Ping-Pong ?

     - Tu connais pas Ping-Pong ? Tu rates quelque chose. C’est la demi-mondaine préférée de Claude. Les asiat sont sacrément intelligents. Il croit toujours qu’elle ne parle pas notre langue. Bref, je l’ai trouvée jolie, elle aussi visiblement, on a discuté, je lui ai filé rencard, et voila je suis fiancé.

     - Depuis combien de temps ?

     - Euh… six mois.

     - Connard.

     - Vous avez choisi ?

Les deux frères se tournèrent vers la serveuse drapée par une chose très courte de la couleur des serviettes. Goldwin fronça les sourcils.

     - Un thé glacé et un pancake sandwich.

     - Café ?

     - Non.

     - Et vous monsieur ?

Tout en continuant de la scruter, Goldwin débita la moitié du menu.

     - Et c’est tout ?

La serveuse avait le sourire qui menaçait.

     - Il mangera tout, vous inquiétez pas.

Il s’était transformé en rire.

     - Je n’en doute pas. Jus d’orange ?

     - S’il vous plaît.

     - C’est parti.

Elle s’éloigna en dictant sa commande au cuisiner qui suait dans son coin.

     - C’est pas mes fiançailles qui te coupent l’appétit, on dirait.

     - Il m’en faut plus que ça.

     - T’as l’air troublé quand même.

     - C’est rien, une impression persistante de déjà-vu.

     - Tu en étais à « connard ».

     - Laisse tomber, on en parlera plus tard.

     - T’es fâché.

     - Je ne me fâche jamais. Plus tard.

     - Ok.

     - Donc, tu es venu faire quoi au Cygne Manchot ?

     - Tu me soupçonnes ?

     - Non, mais tu es un témoin.

     - Scrupuleux, perfectionniste et enragé à la tâche. Mon petit frère d’amour…

     - Va te faire. Si je me plante, j’ai plus qu’à me reconvertir en privé. Et j’aime trop emmerder les collègues.

Orace attaqua ses toasts beurrés.

     - Normalement, je viens la chercher tous les jeudis. Mais j’attends dans le parc à pigeons. Je taille un bout de gras avec les Homeless.

     - Et tu deales.

     - Evidemment.

     - Papa et maman ne seraient pas contents s’ils savaient. Ils recommanderaient ton âme à Dieu.

OCB haussa les épaules.

     - Ils n’en savent rien et c’est très bien comme ça. Et j’ai besoin de testeurs pour mes expériences.

     - Des cobayes.

     - Non. Je deale, mais pas n’importe quoi. C’est pas parce qu’ils n’ont personne et que tout le monde s’en fout que je fais ça. Ce sont aussi des êtres humains. Je leur donne un peu de rêve, ils en ont besoin.

     - Tu me brouilles surtout des pistes. Et donc ?

     - Elle, Véra, était en retard. Et j’ai vu un noir se faire éjecter du bordel. Comme il arrivait pas à se relever, je suis allé lui donner un coup de main. Claude l’avait bien amoché. Je lui filé un peu de fric pour qu’il boive un coup ailleurs, mais il s’est dirigé vers le bar. Je me suis résigné à le suivre, la mère est pire que le fils question castagne. Ca a pas loupé. Il s’est fait alpagué, il avait pas fait deux pas à l’intérieur. Et Claude est sorti d’on ne sait où. Vera m’a dit qu’en fouillant dans ses affaires, il a trouvé la bague que je lui avais offerte. Il devait la faire surveiller parce que ni une ni deux, il se précipite sur moi alors qu’il ne m’a jamais vu. Imagine le rugissement d’un lion, ça ressemble au son qui est sorti de sa bouche. Le noir a essayé de me renvoyer l’ascenseur mais Claude l’a chopé et s’est mis à jouer les autos tamponneuses avec nos crânes. Au bout d’un moment, j’ai vu Mickey et Dingo. Mais ça s’est brusquement arrêté. Le pianiste s’est interposé et lui a arraché le noir des mains.

     - Et il gesticulait tellement qu’il en a collé une à ta dulcinée.

     - Ouais. Ca a failli partir en string, mais Belle-Maman a vite remis de l’ordre.

     - A viré le noir, t’as envoyé à la merde.

     - Et tiré son rejeton par l’oreille. J’ai eu mal pour lui. Je suis gentiment retourné dans le parc avec mes potes SDF et j’ai recommencé à attendre.

     - Et le black ?

     - Ah ça, je sais pas. Je l’ai pas revu après ça.

     - Tu n’as rien entendu ?

     - Rien. Les clodos gueulaient dans leur trip. Bonne came, en passant.

     - Véronica est venue ?

     - Affirmatif. Pour me dire qu’on remettait ça. Ca s’était calmé mais Majax leur a fait un show plutôt étonnant. Pour éviter le malaise, Véra a repris un tour de chant. T’as tout noté ?

     - Ouais.

     - Timing parfait. Voila notre petit déjeuner.

Pendant qu’elle se débarrassait des plats, Orace en profita pour flatter sa croupe.

Elle se retourna, l’air pas content.

     - Je suis serveuse, pas une jument. Refaites ça et je vous casse la main.

Elle n’avait pourtant pas l’air énervée.

     - Oh mon dieu, une féministe.

En fait, elle souriait. Et lui adressa un regard amusé avant de partir s’occuper des autres clients.

     - Elle l’aurait fait.

     - Tu crois ?

     - Tu matais son cul, moi je regardais ses yeux. A mon avis, elle aurait su comment s’y prendre.

Heureusement que j’ai un sourire canaillou sinon j’aurai eu du mal à expliquer ça à Véra.

     - T’as fait que toucher et tu t’es fait mouché, c’est tout.

     - Y a-t-il quelque chose que tu trouves grave, toi ?

     - Ouais. T’imaginer marié.

     - Connard.

     - Chacun son tour. C’est le même moule.

     - Bon, bouffe, j’ai un business à faire tourner, moi.

     - Tires toi alors, faut que je réfléchisse.

     -  Tu veux toper ?

     - File.

OCB laissa l’addition mais posa un petit paquet à côté.

     - A plus.

     - ++

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